Face à des travaux en copropriété parfois très lourds financièrement pour les copropriétaires, encore davantage dans un contexte de pression accrue pesant sur les syndicats pour les pousser à réaliser leur transition énergétique dans le cadre de travaux de rénovation énergétique de l'habitat collectif (Représentant tout de même près de 9 milliards d'euros selon la banque des territoires !), l'emprunt collectif dont le mécanisme actuel découle de la Loi WARSMAN, est devenu un outil incontournable au financement de ces opérations très onéreuses. En effet, avec des outils de planification et d'audit toujours plus nombreux et contraignants (PPT, PPPT, DTG, DPE collectif etc... voir notre article à ce sujet) visant à pousser les copropriétés à engager des travaux très lourds (isolation thermique par l'extérieure - ITE - isolation de toitures, création de VMC double flux, remplacement de menuiseries ou de chaufferies collectives etc), le financement de ces travaux est devenu une problématique incontournable et parfois trop peu prise en compte par les pouvoirs publics comme pouvant constituer le principal frein dans une politique pourtant très ambitieuse en la matière.
Le fonctionnement actuel de l'emprunt collectif
Le dispositif actuel (actuellement centralisé et géré sur convention avec l'Etat par PROCIVIS ainsi que la Caisse d'Epargne IDF, emprunt dit "Copro 100"), vise à permettre le financement de travaux votés en Assemblée générale, portant sur les parties communes ou sur les parties privatives mais étant d'intérêt commun (isolation de combles sous toiture privatives, pose de compteurs thermiques par exemple), mais également le préfinancement de travaux bénéficiant de subventions (généralement versées sur présentation des factures acquittées une fois l'ensemble de l'opération achevée, donc pré-financée par le syndicat des copropriétaires).
L'emprunt bancaire est souscrit au nom du syndicat de copropriétaires pour le compte de l'ensemble des copropriétaires ou pour les seuls copropriétaires qui décident d'y participer dans le cadre d'un recensement effectué par le syndic, et est généralement soumis à un cautionnement ou une garantie par un établissement spécialisé. Pour être éligible, il est nécessaire qu'un minimum de copropriétaires soient volontaires pour y souscrire, tout en étant à jour de leurs charges de copropriété (mois d'un trimestre de charges en retard). Le principe du recours à l'emprunt collectif ainsi que le mandat de signature au syndic et le mandat de prélèvement direct en faveur de l'établissement prêteur font en principe l'objet, sauf cas particuliers, d'un vote à la même majorité que les travaux concernés ou que l'acte d'acquisition de partie commune à financer (jusqu'à peu, la souscription d'un emprunt collectif nécessité la majorité très pénalisante de l'article 26). Les copropriétaires qui souhaitent participent à l'emprunt doivent notifier dans les 2 mois suivant notification du Procès-verbal d'Assemblée générale leur souhait de participation au syndic, par tout moyen écrit, en précisant le montant de l'emprunt qu'ils souhaitent demander dans la limite de leur quote-part sur les travaux à financer.
Les limites du dispositif actuel
Le dispositif actuel d'emprunt collectif en copropriété issu des dispositions de la loi WARSMAN entrée en vigueur le 14 mai 2013 s’avère inadapté aux besoins actuels et aux politiques de rénovation énergétique de l'habitat collectif, fortement poussée par les pouvoirs publics. Difficile d'ailleurs de parler véritablement d'emprunt collectif, alors qu'il s'agit d'un emprunt soumis à adhésion volontaire individuelle. Dans un rapport remis le 19 octobre 2023 au Ministre du Logement, la Banque des Territoires rappelle d'une part que la rénovation énergétique des copropriétés suppose deux éléments majeurs: un pré-financement des montants subventionnés éventuels, et le financement des quotes parts à la charge des copropriétaires, mais également que plus de 60% des copropriétaires ne sont pas éligibles actuellement à l'emprunt collectif en France. Face à ces freins majeurs, mais également à de nombreuses difficultés techniques de mise en oeuvre rendant leur souscription relativement peu courante, le rapport précise que « Le déficit de financement des copropriétés en difficulté révèle un problème plus global de financement des copropriétés, y compris celles en bonne santé. » rendant indispensable une refonte en profondeur de ce mécanisme.
Vers une modification en profondeur de l'emprunt collectif en copropriété ?
Un amendement dit "Amiel" déposé le 13/10/2023 a été adopté pour la loi de finances 2024, permettant de poser le cadre à un prêt « global, collectif, inclusif et adossé aux lots », ce qui laisse présager un véritable changement du dispositif.
Ce nouveau prêt collectif s'adressera à toutes les copropriétés, quelle que soit leur situation financière, afin de prévenir leur dégradation et permettre de tenir le rythme imposé par les politiques publiques en matière de rénovation énergétique des immeubles en copropriété. Ce nouvel emprunt couvrira par défaut la totalité du coûts des travaux y compris les montants couverts ultérieurement ou à l'achèvement par des subventions publiques, sera proposé à tous les copropriétaires et voté en assemblée générale avec les travaux à financer, au même titre que l'emprunt actuel. Le prêt sera accompagné d'un dispositif de garantie spécifique pour les copropriétés dégradées émanant des collectivités et de l’État afin de limiter le risque pour les établissements bancaire. Il s'agit ainsi d’atteindre un meilleur équilibre entre l’intérêt collectif (préservation de la valeur patrimoniale de la copropriété) et individuel des copropriétaires (volonté et capacité de chacun à financer les travaux nécessaires).
L'avancée majeure concerne en particulier le caractère inclusif du nouveau dispositif envisagé, mais également le préfinancement des montants subventionnés, qui constitue parfois un frein insurmontable. Dans ce nouveau dispositif, une fois l'emprunt collectif conclu, l'établissement prêteur est subrogé de plein droit dans les droits du copropriétaire emprunteur auprès de l’organisme public versant les subventions, ce qui transforme ainsi ce préfinancement en une sorte de prêt relai qui offre l'avantage à l'établissement bancaire prêteur de prendre peu de risques, en particulier pour les copropriétés en situation financière fragile.
Le rapport remis par la Banque des Territoires évoque également ce préfinancement en rappelant la nécessité de prévoir un préfinancement des montants subventionnés à taux zéro, au motif même de ces subventions délivrées par l'Anah, l'Ademe, Maprimerénov ou les collectivités territoriales. Ce d'autant plus qu'il n'est pas rare de trouver une copropriété dans une situation aberrante faute de préfinancement, dans laquelle les travaux « ne démarrent pas, ces subventions étant versées au fur et à mesure de l’avancement des travaux alors que les entrepreneurs ont besoin d’être assurés du financement de la totalité des travaux ». Au regard de la massification des aides prévues pour 2024 via notamment maprimerénov Copropriété, ce préfinancement sera encore plus mis en œuvre.
Enfin, la souscription collective d'un emprunt collectif de type inclusif offrira également des avantages en matière d'éligibilité pour les copropriétaires, assouplissant les conditions d'accès et de souscription par rapport à un PTZ copropriété ou un crédit souscrit à titre individuel, comme le souligne toujours le rapport de la banque des territoires: « L’analyse de solvabilité au niveau du copropriétaire est très significativement réduite. Le copropriétaire ne doit pas être interdit bancaire et doit être à jour de ses charges, mais il n’y a pas d’analyse sur son taux d’endettement puisque ce prêt ne constitue pas un endettement individuel. Une analyse de solvabilité un peu plus poussée peut toutefois être réalisée dans certains cas, par exemple si le capital emprunté est assez élevé (pour une quote-part supérieure à 25 k€, l’avis d’imposition peut par exemple être demandé). »
Une inversion profonde du modèle
A l'inverse du système actuel d'adhésion individuelle sur demande dans le cadre du recensement réalisé par le syndic, le nouveau projet prévoit la souscription globale de l'emprunt, sauf à ce qu'un ou plusieurs copropriétaires ne fassent une demande de renonciation, charge pour eux en pareil cas de verser la totalité de leur quote part sur les travaux votés dans les 6 mois à compter de la notification du Procès-verbal. Autrement dit ici, le silence vaut emprunt, et seule la manifestation expresse d'un refus du copropriétaire vaut rejet de l'emprunt collectif à titre individuel.
En effet, l'article 26-4 III du projet Amiel dispose comme suit:
« L’assemblée générale peut voter à la même majorité que celle nécessaire au vote des travaux concernant les parties communes ou des travaux d’intérêt collectif sur parties privatives, prévus aux a à c et e de l’article 24 et au f de l’article 25, la souscription d’un emprunt au nom du syndicat des copropriétaires pour le financement de ces travaux.
A moins qu’il ne s’y oppose dans les conditions fixées à l’alinéa suivant, chaque copropriétaire est réputé avoir accepté de participer à ce mode de financement des travaux.
Tout copropriétaire peut refuser de participer à l’emprunt sous réserve de notifier au syndic son refus dans le délai de deux mois à compter de la notification du procès‑verbal d’assemblée générale et de verser la totalité de la quote‑part du prix des travaux lui revenant, dans le délai de six mois à compter de la notification de ce procès‑verbal. A défaut, le copropriétaire est tenu par l’emprunt. »
Trois autres modifications majeures sont apportées au nouveau dispositif d'emprunt collectif en copropriété, découlant de ce nouveau fonctionnement:
D'une part le remboursement des échéances d'emprunt est désormais réalisé directement auprès du syndic, en ce compris le capital emprunté, les intérêts et honoraires afférents. Le syndicat des copropriétaires se voit donc doté d'un compte spécifique dédié à cet effet, qui entraînerai probablement de nouveaux honoraires de gestion facturés par les syndics compte tenu de la charge de travail supplémentaire induite. Le crédit est en effet désormais accordé non pas individuellement aux copropriétaires ayant souscrit mais au syndicat des copropriétaires lui-même.
D'autre part, la quote part relative au remboursement des échéances de l'emprunt collectif est désormais non plus rattachée au copropriétaire mais au lot. La conséquence majeure est donc conformément à l'article 26-11 du projet Amiel que « La charge de la contribution au remboursement de l’emprunt mentionné au III de l’article 26‑4 incombe au propriétaire du lot et est transférée aux propriétaires successifs en cas de mutation ». Autrement dit, le Pré-état daté et l'état daté devront, au moment de la vente d'un lot en copropriété, présenter les sommes restant dues au syndicat au titre de chaque lot objet de la mutation dans le cadre de l'emprunt collectif en cours, au même titre que les autres sommes rattachées au lot comme par exemple le fonds travaux ALUR.
Enfin, le cautionnement solidaire d'un établissement de crédit ou d'une entreprise d'assurance spécialement agréé bénéficie désormais directement, sans franchise ni délai de carence, au syndicat des copropriétaires lui-même, afin de le protéger en cas de défaillance. Citons à ce titre les dispositions suivantes issues de ce même projet Amiel (Art 26-12): « Le syndicat des copropriétaires est garanti en totalité, sans franchise et sans délai de carence, par un cautionnement solidaire après constat de la défaillance d’un copropriétaire bénéficiant de l’emprunt mentionné au III de l’article 26‑4 pour les sommes correspondant à son remboursement ainsi qu’au paiement des accessoires. Le cautionnement solidaire ne peut résulter que d’un engagement écrit fourni par une entreprise d’assurance spécialement agréée, par un établissement de crédit, une société de financement ou une institution mentionnée à l’article L. 518‑1 du code monétaire et financier ».
Retrouvez le détail du Projet d'Amendement Amiel déposé le 13/10/2023 sur le Site de l'Assemblée Nationale.
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